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Les gigantesques centrales électriques bâties durant l’ère soviétique n’ont aucun avenir en Ukraine. Ces mastodontes de béton et d’acier, absorbant des montagnes de charbon, agonisent sous les frappes répétées de missiles russes depuis cinq mois.
Dans le ventre de l’une de ces créatures en fin de vie, c’est un spectacle de désolation : tôles et parois perforées par les éclats, amas de gravats, enchevêtrements métalliques sauvagement tordus. La salle des turbines, haute de plusieurs dizaines de mètres, s’étend sur une longueur égale à huit stades de football et paraît infinie. Crevé en plusieurs endroits par des missiles russes, le plafond laisse passer des colonnes de lumière aveuglante en milieu de journée. « C’est la première centrale électrique cabriolet avec toit ouvrant », ironise Oleg, le directeur de la production. Par mesure de sécurité, il n’est pas autorisé à donner son nom de famille, ni à nommer la centrale. Même la date de la visite doit être tenue secrète. « L’ennemi collecte toutes les informations pour identifier les points faibles et poursuivre son entreprise de destruction », poursuit Oleg, un ingénieur quadragénaire au caractère combatif.
L’ingénieur explique, tout en restant volontairement approximatif, que la centrale a subi « presque » dix attaques, avec, à chaque fois, pour commencer, des drones, puis des missiles de croisière et enfin des missiles balistiques : « Ces derniers sont les plus effrayants, car il s’écoule moins de quatre minutes entre le tir et la frappe, nous n’avons même pas le temps de courir aux abris. » Oleg raconte qu’avant le début de l’invasion russe en Ukraine, le psychologue de la centrale s’ennuyait ferme dans son bureau. Ces jours-ci, la liste d’attente est « longue comme celle pour le papier toilette à l’époque soviétique ».
Lors de chaque attaque, le directeur de la production et ses hommes sont les premiers à sortir des abris pour éteindre les incendies : « Les pompiers sont à cinq minutes d’ici, mais il n’y a pas une seconde à perdre si l’on veut limiter les dégâts. » Il faut d’abord éteindre en priorité ce qui est inflammable, comme l’huile lubrifiante, l’hydrogène (utilisé pour le refroidissement du générateur) et les câbles.
Indemne, la vaste salle de contrôle a des airs de musée avec ses tableaux de bord antédiluviens encadrant la pièce. Seuls les moniteurs et une armoire de stockage informatique signalent que l’on est au XXIe siècle. Le système paraît en état de marche, mais la vulnérabilité du « cerveau » de la centrale saute aux yeux : de grandes bâches sont suspendues au-dessus des tableaux de bord avec des bouts de ficelle. « Le plafond est troué et l’eau de pluie risque de s’infiltrer », signale Nikolaï, responsable sexagénaire de l’équipe de jour.
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